Alain Bouquet - La fission

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Champs, Noyaux & particules

L'Antiquité

Atomisme moderne

Électrons

Radioactivité

Noyaux, protons et neutrons

Intruments, accélérateurs et détecteurs

Le photon

Mécanique quantique

Fission nucléaire

Fusion nucléaire

Particules en tout genre

Gravitation quantique?

Notes éparses à mettre en forme

Modèles quantiques du noyau

Les théoriciens n’étaient pas restés inactifs devant les brillants résultats de l’équipe de Fermi avec les neutrons. Une description complètement quantique d’un ensemble de plusieurs dizaines de nucléons était alors hors de portée des physiciens, même si les interactions avaient parfaitement été connues (ce qui n’était pas le cas). Deux grandes familles de modèles furent développés :

Le modèle de la goutte d’eau (droplet model) suppose que les nucléons interagissent fortement, mais à très courte portée, à la manière des molécules d’eau dans une goutte. Les observations de diffusion sur les noyaux avaient en effet montré que le volume des noyaux était à peu près proportionnel à leur masse atomique A, et que leur énergie de liaison était également, en première approximation, proportionnelle à A. l’interprétation la plus simple était d’imaginer le noyau comme une collection de A objets de taille à peu près fixe, et dotés d’interactions à très courte portée.

Le modèle en couches (shell model) suppose au contraire que les nucléons interagissent peu directement les uns avec les autres, et se déplacent à peu près librement dans un potentiel moyen couvrant l’ensemble du noyau et définissant une série de niveaux d’énergie (les couches) que les nucléons occupent successivement en accord avec le principe d’exclusion de Pauli. Analogue au modèle en couches de l’atome, malgré d’importantes différences, ce modèle ne devint réellement accepté qu’après la guerre avec les travaux de Wigner, de Maria Goeppert-Mayer et de Jensen en 1949 (ce qui leur valut le prix Nobel de physique en 1963). Ce modèle explique en particulier que certains noyaux (les « nombres magiques » 2, 8, 20, 28, 50, 82 et 126 nucléons) soient beaucoup plus liés que le prévoit le modèle de la goutte d’eau car ils correspondent à des couches complètes.

Gamow

Le modèle collectif ou modèle des amas (cluster model) est intermédiaire et suppose qu’un noyau est une collection d’objets fortement liés, comme des particules alpha, qui se déplacent dans un potentiel d’ensemble. Historiquement, c’est le premier modèle de noyau, remontant à Rutherford et à Gamow. Il évolua ensuite vers le modèle de la goutte d’eau. La difficulté vient de ce que le libre parcours moyen des nucléons dans un noyau est du même ordre de grandeur que la taille du noyau, alors que le modèle de la goutte d’eau le suppose beaucoup plus petit, et le modèle en couches beaucoup plus grand.

Cockroft et Gamow

Cockroft et Gamow au Cavendish vers 1930

Dès 1928, George Gamow (d’abord à Copenhague avec Bohr puis à Cambridge avec Rutherford) avait imaginé un noyau comme une superposition de particules alpha (et peut-être aussi de protons et d’électrons) liées par des forces de contact analogues à la tension de surface dans une goutte liquide, utilisant un potentiel semi empirique V(r) = 4e2/r – a e-br . Il publia ses résultats le 28 janvier 1930 sous le titre « Défaut de masse et constitution nucléaire ». Prenant en compte attraction de contact et répulsion électrostatique, il pouvait estimer l’énergie de liaison du noyau (le « défaut de masse ») et comparer sa prédiction aux résultats expérimentaux d’Aston.

Modèle de Gamow en 1930

L’accord très approximatif de la théorie de Gamow en 1930 (hachures) avec les données d’Aston (points noirs)

La forme était qualitativement correcte, mais ni la profondeur ni la largeur. Le résultat étant très médiocre au delà de A=40 (10 alphas pour un noyau), Gamow enrichit son modèle en supposant que les noyaux plus lourds avaient des « électrons nucléaires » additionnels (le neutron n’était pas découvert en 1930), 2 d’abord, puis 4 puis 6. Il parvint ainsi à reproduire à peu près la courbe d’Aston, mais il se heurta au problème des électrons nucléaires qui, à ces énergies, devaient avoir des vitesses relativistes, et de ce fait une forte probabilité de s’échapper (paradoxe de Klein). De plus les noyaux au-delà de 30 alphas (A>120) étaient prédits instables (mais les données étaient alors très incertaines).

Prédiction du modèle de Gamow

 

Modèle de Gamow (1930)

Gamow, pragmatique, se dit que la question des électrons finirait bien par être réglée et que le reste du modèle était assez séduisant pour être poursuivi plus avant. Mais il dut retourner en URSS, où il fut bloqué jusqu’à ce qu’il puisse assister en octobre 1933 à Bruxelles à la conférence Solvay. Entretemps la découverte du neutron en 1932, puis les travaux théoriques d’Heisenberg en 1932 et de Majorana en 1933 sur les forces entre nucléons, avaient permis d’améliorer considérablement l’approche de Gamow. L’exposé d’Heisenberg à la conférence Solvay de 1933, « Considérations théoriques générales sur la structure du noyau », fut présenté par lui comme une version modernisée du modèle de Gamow. Le modèle supposait qu’un proton ou un neutron ne voyait que ses voisins immédiats (autrement dit, son libre parcours moyen était petit devant la taille du noyau). En fait, ce n’est pas le cas, le libre parcours est du même ordre de grandeur que la taille du noyau et les effets collectifs ont toute leur importance. Malgré tout, le modèle de la goutte est efficace dans de nombreux cas. Le noyau est modélisé comme une goutte (liquide) et non comme un cristal (solide) car les fluctuations quantiques de position (fluctuations « de point zéro ») sont du même ordre que les distances entre particules.

Données expérimentales

La mesure de la taille des noyaux était une information très importante pour la construction d’un modèle nucléaire. Pour les noyaux légers, on pouvait mesurer l’écart à la loi de Rutherford (Coulomb) ⇒ hydrogène 0.8x10-15 m. Pour les noyaux lourds, on utilisait la transmutation α par effet tunnel → position et largeur de la barrière ⇒ polonium 7x10-15 m et uranium 9x10-15 m. Mais pour tous les autres ? Il restait la diffusion de protons (mais répulsion coulombienne à prendre en compte) ou la diffusion de neutrons (mesure de la diminution du flux de neutrons rapides en fonction de l’épaisseur traversée)

⇒ rayon ∝ A1/3

⇒ r = (1,7 + 1,22 A1/3)x10-15 m

⇒ densité nucléaire constante (densité = A/volume)

Taille des noyaux

 

Autre information essentielle : l’énergie de liaison des noyaux.

Eliaison = | Mnoyau – Z mproton – N mneutron |

Énergie de liaison par nucléon constante ~ 8 MeV/nucléon en 1° approximation

Courbe d'Aston

☺explique bien (au moins qualitativement) l’augmentation de l’énergie de liaison du lithium au fer car de moins en moins de neutrons sont près de la surface

☺ explique bien (au moins qualitativement) la diminution de l’énergie de liaison du fer à l’uranium en raison de la répulsion électrostatique ∝ Z2 grandissante

☹ n’explique pas la stabilité particulièrement grande pour 4He, 12C, 16O, 20Ne

Goutte d'eau

L’ensemble des nucléons a une cohésion à très courte portée et (l’équivalent d’)une tension de surface ☞ comportement analogue à celui d’une goutte d’eau ?

Gouute d'eau

Modes de vibration en volume (compression, dilatation, déformation) + modes de vibration de surface

La théorie de l’interaction nucléon-nucléon étant trop rudimentaire, Carl von Weizsäcker (à Leipzig puis à Berlin) s’inspira en 1935 de cette image de la goutte pour établir une formule qui reproduisait bien les mesures d’Aston.

Points de départ :

Il exprimait l’énergie de liaison d’un noyau par une somme de contributions : un terme proportionnel au volume (lui-même proportionnel au nombre A de nucléons), un terme proportionnel à la surface (donc proportionnel à A2/3), un terme d’asymétrie reflétant le principe d’exclusion de Pauli, un terme coulombien de répulsion électrostatique des protons, et finalement un terme de parité dû à la tendance des neutrons et des protons d’aller par paires :

E = aVA–aSA2/3 –aA(N-Z)2/A –aCZ(Z-1)/A1/3 ±δ(A,Z)

Composantes de la formule de Weizsäcker

Formule de Weizsäcker

L’énergie de liaison par nucléon en fonction du nombre de nucléons selon Weizsäcker en 1935 (« Zür Theorie der Kermesse »)

Pour des noyaux légers, le terme d’asymétrie tend à forcer N ~ Z (les noyaux stables suivent la diagonale sur le diagramme de Segrè) mais quand la masse augmente (ou plus justement la charge électrique donc le numéro atomique Z > 30) le terme électrostatique déplace la vallée de stabilité vers N > Z.

Hans Bethe reprit, simplifia et améliora le calcul de Weizsäcker et lui donna un grand impact dans trois gros articles de synthèse pour la Review of Modern Physics, l’un en 1936 avec Robert Bacher, un deuxième en solo en 1937 et le troisième toujours en 1937 avec Livingston. Formant une synthèse exhaustive des connaissances sur la structure du noyau atomique et sur sa dynamique au cours des réactions nucléaires, ces articles demeurèrent la « Bible » d’une génération de physiciens nucléaires, même après la découverte de la fission.

Bethe Hans Bethe en 1935

 

Résonances

L’efficacité des neutrons lents fut expliquée par Fermi et par Bethe en terme de longueur d’onde de de Broglie → σ∝1/V . Cela suppose implicitement que le neutron voit tous les noyaux comme des blocs compacts à peu près identiques (à la taille près), et on en déduit que σcapture << σdiffusion comme pour les collisions électron-atome.

Ceci est contredit par les observations qui indiquent au contraireσcapture >> σdiffusion (par exemple, pour le cadmium σcapture ~ 100 σdiffusion ). De plus le phénomène de capture sélective σcapture(B≠A) >> σcapture(B=A) était incompréhensible.

Capture sélective

Ce phénomène fut interprété par Leó Szilárd qui suggéra qu’un noyau donné ne pouvait capturer que certains neutrons, probablement ceux d’une énergie bien précise (dépendant du noyau). Analogie : un atome n’absorbe que les photons dont l’énergie correspond à la différence d’énergie entre deux niveaux électroniques.

⇒ si B=A, le flux de neutrons arrivant en B est appauvri en neutrons capturables ⇒ σcapture(B≠A) >> σcapture(B=A)

☞ études fines systématiques ☞ les neutrons sont bien plus capturés à certaines énergies précises : les résonances

Après les expériences de capture de neutrons par Fermi et son équipe, la découverte de résonances très étroites marqua une nouvelle étape. Une « résonance » signifie que la probabilité pour un neutron d’être absorbé par un noyau augmente très brutalement quand l’énergie du neutron se situe dans un intervalle extrêmement étroit, et diminue brutalement au-dessus ou en dessous de cet intervalle. C’est une situation très semblable à celle de l’atome d’hydrogène : celui-ci n’absorbe de photons que lorsque ceux-ci possède une énergie précise, correspondant à la différence entre deux niveaux d’énergie quantique de l’atome. Il apparaît donc qu’un noyau se comporte, dans ces circonstances du moins, de manière collective, avec ses propres niveaux d’énergie. Tous les noyaux ne manifestent pas ce comportement, qui est donc lié à la structure interne des noyaux.

Sections efficace pour l'hydrogène et le cadmium

Section efficace de capture des neutrons pour l’hydrogène (en bleu) et pour le cadmium (en vert). Le cadmium absorbe les neutrons plus efficacement que l’hydrogène de l’eau, mais le phénomène est bien plus accentué dans la région des résonances, entre 102 eV et 104 eV ©NNDC-BNL

Le modèle de la goutte liquide, qui avait été jusque là utilisé pour comprendre la structure d’un noyau et calculer ses énergies possibles, allait alors être étendu pour modéliser ses interactions avec des particules incidentes. Wigner avait introduit la notion d’un état transitionnel quasi-stable à la suite de la capture d’un projectile par un noyau, état qui se désintégrait ensuite. Wigner avait reçu une formation de chimiste avec Polanyi et ils avaient élaboré une théorie des réactions chimiques dans laquelle les réactants passaient par une coalescence temporaire. En 1935-1936, il avait appliqué ce mécanisme aux noyaux avec Gregory Breit (alors à l’université du Wisconsin) et ils avaient abouti à la « formule de Breit-Wigner » pour la section efficace d’interaction. Bethe et Placzek généralisèrent la théorie de Breit et Wigner fin 1936 (Phys. Rev. 51, 450 - 484 1937). Bethe était à Cornell, Placzek à Copenhague (Universitetets Institut for teoretisk Fysik)

The dependence of the cross section on the energy of the incident particle can be divided into two parts: Firstly, the dependence over energy regions small compared to nuclear energies, and secondly that over large energy regions, of the order of a million volts or more. The first dependence is completely given by the resonance formula; it shows resonance maxima and besides a simple general trend with the particle energy such as the 1 / v law. The dependence over large energy regions cannot be found without referring to a special nuclear model. Bethe&Placzek

Placzek

George Placzek (1905-1955)

De son côté, Niels Bohr reprit l’image d’une goutte d’eau dans un article de Nature en janvier 1936, pour modéliser la capture d’un neutron par un noyau, introduisant la notion de noyau composé. Il développa ce modèle entre 1935 et 1937 avec son élève Fritz Kalckar (1910-1938). L’étroitesse des résonances impliquait que l’ensemble noyau plus neutron formait un noyau nouveau et quasi stable, le « noyau composé ». Il n’y avait guère de différence entre le noyau composé de Bohr et l’état transitionnel de Wigner.

Noyau composé de Bohr

Bohr

Dans la description de Bohr, un neutron pénétrant dans un noyau entrait en collision avec les nucléons qui le ralentissaient jusqu’à le capturer. Son énergie se trouvait alors dispersée entre tous les nucléons (en fait ce n’est pas exact), et aucun n’avait alors assez d’énergie pour ressortir du noyau, sinon par effet tunnel, d’où la quasi stabilité du composé. La distribution de cette énergie fluctuant sans cesse, il pouvait arriver qu’un nucléon parvienne à ressortir, si le hasard faisait qu’il rassemble temporairement assez d’énergie (situation analogue à l’évaporation de l’eau). Dans ce modèle, une réaction nucléaire se déroule en deux étapes bien distinctes :

Chacun des processus possibles est en compétition avec tous les autres, les plus fréquents étant cependant l’émission d’un photon gamma et celle d’un neutron. Les deux étapes sont bien distinctes, et le destin d’un noyau ne dépend pas de la manière dont il a été formé.


Le noyau composé est métastable (i.e. sa durée de vie >> temps nécessaire à un neutron pour parcourir son diamètre)

⇒ le noyau composé a « perdu la mémoire » du processus qui l’a formé

⇒ il peut alors ensuite soit

Résonances

À gauche, la section efficace de capture d’un nucléon par l’oxygène 16 en fonction de l’énergie du neutron, à droite les niveaux d’énergie d’un noyau d’oxygène 17, qui est ici le noyau composé de la théorie de Bohr

Bizarrement, Bohr ne fit aucune référence à Gamow dans son article, ni d’ailleurs Bethe quand il reprit ces résultats dans ses articles de revue. Par la suite, le modèle de la goutte d’eau devint « le modèle de Bohr » (sauf pour Gamow bien sûr).

La région des résonances resta très mal connue jusque bien après 1945, bien qu'elle joue un rôle essentiel dans le choix du modérateur (terme dû à John Wheeler) pour un réacteur, et dans la géométrie relative du combustible et du modérateur. Un noyau donné présente en général plusieurs résonances dont le nombre, la position et la hauteur varient de manière importante d’un noyau à un autre.

Bible de Bethe

La « bible » de Bethe : 500 pages denses: 1. Bethe & Bacher (1936)

Bible de Bethe 2

2° partie: Bethe (1937)

Bible de Bethe 3

3° partie: Bethe & Livingston (1937), intégrant les progrès récents sur la diffusion des protons et des neutrons sur les noyaux

Le modèle de la goutte d’eau, et plus particulièrement l’idée du noyau composé, était donc couramment utilisé par les théoriciens pour décrire le résultat de collisions avec un noyau. Mais s’ils avaient correctement étudié le cas où l’énergie d’excitation du noyau composé se concentrait sur une particule qui pouvait alors être émise, comme lors de l’évaporation d’une vraie goutte liquide, personne n’avait pensé que cette énergie d’excitation pouvait se traduire par un mouvement collectif de la goutte pouvant conduire à sa rupture. Après la découverte de la fission, Bohr reprit avec Wheeler le modèle de la goutte liquide, et ils parvinrent à modéliser correctement la fission en étudiant les déformations de la surface de la goutte, comme nous le verrons plus loin.

Stabilité des noyaux

Energie de liaison des noyaux

Formule de Weizsäcker : E/A = a + bA-1/3 + c[(N-Z) /A]2 + 3/5 e2Z(Z-1)/(r0A4/3)

Vallée de stabilité

Vallée de stabilité

Vallée de stabilité

Pourquoi les noyaux stables sont-ils stables ?

État 1 d’énergie E1 > énergie E2 d’un état 2 ⇒ transition spontanée de l’état 1 vers l’état 2

Sauf s’il existe un obstacle

Lac de montagne Barrière de potentiel

 

Indice : l’abondance des noyaux dans l’univers

Abondance des éléments

Abondance des éléments

Spin ?

Moment angulaire (ou cinétique) L = M DxV

Moment angulaire

Le moment angulaire est conservé

Désintégration

Quantification

L = n ħ → L = 0, 1, 2…

Expériences ⇒ atomes, électrons et noyaux ont une propriété additionnelle qui se comporte presque comme un moment angulaire : le spin (= tourner sur soi-même)

S = n ħ/2→ S = 0, ½, 1…

☞ principe de Pauli + minimisation de l’énergie d'où spins antiparallèles ↑↓

☞ stabilité plus grande des noyaux avec un nombre pair de protons et un nombre pair de neutrons

Fusion

En théorie, tout élément A < 56 peut fusionner avec un autre élément léger et libérer de l’énergie. En pratique, il existe une barrière coulombienne Z1Z2e2/r ⇒ grande vitesse des noyaux ⇒ température > Z1Z2 *10 MK ⇒ réactions thermonucléaires

Ordres de grandeur

Potentiel Coulomb V = e2/r ~ 10 eV pour r ~ 10-10 m (atome) ⇒ V ~ 1 MeV pour 2 protons séparés de r ~ 10-15 m ⇒ accélérer des protons > 1 MeV

Accélérateur ?

Chauffer ?

Fission/fragmentation

En théorie, tout élément A > 56 peut se fragmenter en 2 éléments plus légers et libérer ainsi de l’énergie.

En pratique, ce n’est manifestement pas le cas. L’attraction nucléaire forte domine la répulsion coulombienne pour r < rnoyau .

Effet tunnel

Il ya cependant l’exemple de l’émission alpha :

⇒ émettre un noyau plus lourd qu’un α est encore moins probable

 

Difficultés avec les transuraniens

Confusions

Ausonium, hesperium, littorium, bohemium, sequanum ☹ Compétition internationale

In 1934 Odolen Koblic processed pitchblende from Jàchymov, in Czechoslovakia, concluded that element 93 was present in it. named Bohemium (Bo) in honour to fatherland. in 1938, Horia Hulubei (1896-1972) and Yvette Cauchois (1908-1999) distracted from some minerals from Madagascar element 93: "Nous aimerions que, si l'existence de cet élément 93 est confirmée, on le nommât Sequanium (Sq), en l'hommage à la vaillante et généreuse civilisation qui a fleuri sur les bordes de la Seine". The Latin name for the Seine is Sequana, thus the element should be named after Cauchois' fatherland - she was born in Paris -, as the element 87 Moldavium (see Francium) was named after Hulubei's fatherland

Hahn et Meitner

Hahn et Meitner

Otto Hahn et Lise Meitner dans les années 1920 ©AIP

Lise Meitner (1878-1968) collabora trente ans avec Otto Hahn (1879-1968). Sa connaissance poussée de la physique et des mathématiques était complétée par la maîtrise de la chimie que possédaient Hahn. Ils découvrirent ensemble le protactinium en 1918, Lise fut la première femme professeur en Allemagne en 1926.

Kaiser Wilhelm Institut für Chemie (KWI-C)

Le Kaiser Wilhelm Institut für Chemie (KWI-C) à Berlin-Dalhem, aujourd’hui Institut Otto Hahn, où fut découverte la fission.

Fin 1934, stimulés par les résultats impressionnants du groupe de Fermi avec les neutrons, Hahn et Meitner reprirent leur ancienne collaboration et à partir de 1935, ils reçurent l’appui du jeune chimiste Fritz Strassmann (1902-1980). Les durées de vie données par l’équipe de Fermi, 13 et 90 mn, furent révisées à 16 mn et 59 mn. Mais surtout ils observèrent plus d’une dizaine de transmutations bêta, de périodes très variées, qui semblaient s’enchaîner en cascades. Ils se lancèrent dans un effort systématique pour désenchevêtrer l’écheveau des différentes substances produites par activation neutronique de l’uranium (pour utiliser un vocabulaire plus moderne). Ils les identifièrent comme différents isotopes de l’uranium et des éléments suivants, de Z=93 à Z=97. Les propriétés chimiques des transuraniens étaient alors très hypothétiques, et elles se révéleront plus tard être assez différentes de ce que l’on pensait à cette époque. La physicienne Meitner était perplexe devant ce foisonnement de noyaux difficiles à classer de façon ordonnée, mais le chimiste Hahn était plus sûr de lui et de ses méthodes éprouvées par 30 ans d’efforts. Ils finirent par conclure que les neutrons produisaient trois isotopes différents de l’uranium, ayant chacun leur propre cascade de transmutations allant jusqu’à l’élément Z=97 :

92U + n → 92U(23 mn) → 93Ek-Re (?)

92U + n → 92U(10 s) → 93Ek-Re(2.2 mn) → 94Ek-Os(59 mn) → 95Ek-Ir(66 h) → 96Ek-Pt(3.5 h) → 97Ek-Au (?)

92U + n → 92U(40 s) → 93Ek-Re(16 mn) → 94Ek-Os(5.7 h) →95Ek-Ir(?)

Meitner, Hahn et Strassmann purent montrer chimiquement que l’élément de durée de vie 23 mn était bien un isotope de l’uranium : il s’agit effectivement de l’uranium 239. Comme il subissait une transmutation bêta, le résultat devait nécessairement être l’élément Z=93, mais ils ne parvinrent pas à détecter cet eka-rhénium (ce n’est qu’en 1940 que McMillan et Abelson identifièrent l’élément 93 et le baptisèrent neptunium, parce que Neptune est la planète située après Uranus). Ils notèrent cependant qu’il n’était produit que par des neutrons lents (de quelques dizaines d’électron-volts) et conclurent à une absorption résonante. Quand l’existence des isotopes 233 et 235 de l’uranium fut découverte, ils montrèrent que c’était l’isotope 238, le plus abondant, qui en était responsable (dans le cas contraire, la probabilité d’absorption aurait dépassé les limites théoriques).

Les corps de périodes 10 s et 40 s disparaissaient trop vite pour qu’il puisse être démontré de façon convaincante qu’il s’agissait bien d’uranium. Mais ils étaient indiscutablement produits avant les corps de période plus longue, qui étaient donc leurs descendants β, et le comportement chimique de ceux-ci était apparemment compatible avec leur attribution aux analogues du rhénium, de l’osmium, et de l’iridium. Il était donc plausible qu’il s’agissait bien de deux variantes de l’élément 92. Par contre, ceux-ci étaient aussi bien produits par des neutrons rapides (énergie de l’ordre du MeV) que par des neutrons thermiques (énergie inférieure à l’électron-volt) mais pas par des neutrons lents (une dizaine d’électrons-volts), et ces deux corps étaient apparemment produits en quantité équivalente, quelle que soit l’énergie des neutrons.

Transuraniens?

Il semblait donc plausible qu’il s’agissent d’éléments transuraniens, validant l’identification des parents comme de l’uranium ⇒ 3 isotopes du même uranium 239 ó isomères (noyaux de même composition mais d’énergie différente). Mais pourquoi les isomères de l’uranium 239 ne cascadaient-ils pas vers le plus stable par émission de gammas, comme les autres isomères connus ?

L’isomérie ternaire persistait dans les produits de transmutation

92U + n → 92U(23 mn) → 93Ek-Re (?) → ? → ?

92U + n → 92U(10 s) → 93Ek-Re(2.2 mn) → 94Ek-Os(59 mn) → 95Ek-Ir(66 h)

92U + n → 92U(40 s) → 93Ek-Re(16 mn) → 94Ek-Os(5.7 h) → 95Ek-Ir(?)

Pourquoi l’uranium 238 quasi-stable (période 4.5 milliards d’années) devenait-il tellement instable par l’addition d’un seul neutron qu’il fallait jusqu’à cinq transmutations β successives pour arriver à une quasi stabilité ? Présence d’éléments chimiquement proches du baryum ou du lanthane, se mêlant aux «transuraniens» et rendant l’ensemble très complexe ⇒ deux transmutations α successives (U → Ra ~ Ba) suivies de transmutations β (Ra → Ac ~ La) ??

Ces trois isotopes de l’uranium, ayant le même nombre de protons mais aussi le même nombre de neutrons, devaient être en fait des isomères, des noyaux de même composition mais se trouvant dans des états d’excitation différents. Restait à comprendre pourquoi deux d’entre eux étaient uniquement produits par des neutrons rapides ou par des neutrons thermiques et le troisième uniquement par des neutrons lents. Restait à comprendre pourquoi cette isomérie triple se transmettait aux corps obtenus par transmutation bêta. Restait aussi à comprendre pourquoi ils ne cascadaient pas simplement de l’un à l’autre par émission d’un gamma, comme le font normalement les isomères. Enfin, il restait à comprendre pourquoi le noyau d’uranium 238, si stable que sa durée de vie est de 4.5 milliards d’années, devenait tellement instable par l’addition d’un seul neutron qu’il fallait jusqu’à cinq transmutations bêta successives pour le ramener à une quasi stabilité.

L’équipe de Berlin effectua également des expériences de bombardement du thorium (Z=90) avec des neutrons, et les résultats étaient également troublants. L’une des motivations de ces expériences était de produire des substances appartenant à la chaîne de transmutations 4n+1 alors inconnue. On connaissait depuis près de 40 ans la chaîne dite « du thorium » dont les éléments avaient pour masse atomique A un multiple de 4 (A=4n), la chaîne « de l’uranium » dont les éléments étaient tous de la forme A=4n+2 et la chaîne « de l’actinium » A=4n+3. Elles résultent du fait que les transmutations alpha diminuent A de 4 unités et que les transmutations bêta ne changent pas A. La capture d’un neutron par le thorium 232 (le seul isotope du thorium naturellement présent) devait produire du thorium 233, membre de la famille manquante A=4n+1. Hahn et Meitner observèrent plusieurs périodes radioactives, de demi-vies 1 mn, 11 mn et 30 mn. Seule cette dernière paraissait avoir le comportement chimique du thorium, et son abondance augmentait en utilisant des neutrons ralentis par la paraffine. Elle fut donc considérée comme du thorium 233. Hahn et Meitner estimèrent que la substance de 11 mn résultait de la transmutation bêta de celle de 1 mn, qu’ils attribuèrent à un nouvel isotope du radium, le radium 229, produit par expulsion d’un alpha du thorium 233. La « 11 mn » serait alors de l’actinium 229. En réalité, ces isotopes n’ont pas du tout ces demi-vies : elles sont de 4 mn pour le radium 229 et de 62 mn pour l’actinium 229. Le thorium 233, lui, a bien une demi-vie de 22.3 mn. Hahn et Meitner remarquèrent également que ces éléments n’apparaissaient qu’avec des neutrons rapides.

Irène Curie

De leur côté, Irène Curie et ses collaborateurs refirent à Paris les expériences de Rome et de Berlin, en bombardant du thorium et de l’uranium avec des neutrons. Curie, von Halban et Presweick trouvèrent en 1935 cinq périodes radioactives après le bombardement du thorium : 1 mn, 2.5 mn, 12 mn, 25 mn et 3.5 h. L’élément de période 25 mn avait le comportement chimique du thorium, et ils l’identifièrent au thorium 233 comme Hahn et Meitner. L’élément de période 2.5 mn (qu’Hahn et Meitner ne voyaient pas) se comportait comme du protactinium (Z=91) et ils le considérèrent comme du protactinium 233 résultant de la transmutation bêta du thorium 233 (en réalité le protactinium 233 a une demi-vie de 27 jours). La substance de période 1 mn se comportait chimiquement comme du baryum et ils l’attribuèrent donc à un isotope inconnu du radium, comme Hahn et Meitner. Enfin, l’élément de période 12 mn (11 mn pour Berlin) suivait le lanthane comme celui de période 3.5 h, et ils furent tous deux attribués à l’actinium (Z=89). Mais pour eux, c’est l’élément R3.5h qui résultait de la transmutation bêta du « radium 1 mn ». Mais Berlin n’observait pas cet élément.

Joliot-Curie

Irène Curie et Frédéric Joliot à l’Institut du Radium de Paris ©ACJC

Principe de la méthode des porteurs

Au cours de l’été 1937, Irène Curie et Paul Savitch (post-doc yougoslave) obtinrent avec l’uranium des radioéléments de durée de vie 40 s, 2 mn, 16 mn et, à nouveau, 3.5 h. Les trois premiers correspondaient à peu près à ceux de Berlin, mais le dernier les intrigua beaucoup, parce qu’ils ne parvenaient pas à le placer dans le tableau élaboré à Berlin. Chimiquement, il n’était pas facile à identifier et son comportement sembla d’abord analogue à celui du thorium (Z=90). Mais pour obtenir du thorium par irradiation neutronique de l’uranium, il aurait fallu qu’un neutron de faible énergie éjecte une particule alpha du noyau d’uranium, ce qui paraissait invraisemblable. En mars 1938 ils penchèrent plutôt pour un isotope de l’actinium (Z=89) car, dans la méthode des porteurs, il était entraîné par le lanthane (Z=57), élément situé dans la même colonne du tableau périodique.

Tableau périodique: le lanthane

Mais la réaction nucléaire correspondante, permettant de passer de Z=92 à Z=89 était encore plus difficile à expliquer que celle qui aurait donné naissance au thorium Z=90. En mai, Curie et Savitch écrivirent un article où ils concluaient « que cette substance ne peut être qu’un élément transuranien dont les propriétés diffèrent grandement de celles des autres éléments transuraniens connus ». Ils tentèrent différentes façons de la placer dans le tableau des « transuraniens ». Mais leurs propositions parurent invraisemblables à Meitner et Hahn. Celui-ci, rencontrant Joliot à cette époque lors d’une conférence, lui demanda même de raisonner Irène.

En juillet 1938 Curie et Savitch annoncèrent qu’ils ne parvenaient pas à séparer du lanthane leur élément de demi-vie 3.5h. « Dans l’ensemble, les propriétés de R3.5h sont celles du lanthane, dont il semble jusqu’ici qu’on ne puisse le séparer que par le fractionnement. » Avec le recul, nous savons que R3.5h ne peut pas être chimiquement séparé du lanthane 139, parce que R3.5h est du lanthane, mais du lanthane 141 (dont la demi-vie est en fait plus proche de 4 h). Le groupe de Berlin ne voyait toujours pas cet élément dans leurs produits d’irradiation et ils jugèrent qu’il n’était qu’un artefact dû à la médiocrité de la chimie à Paris : par dérision, ils le baptisèrent « curiosum » Pour eux, si jamais il existait vraiment, il devait s’agir d’un isotope du radium, et ils demandèrent à Paris de rétracter leurs affirmations.

Meitner

Lise Meitner en 1937 à Berlin

En mars 1938, l’Allemagne nazie annexa l’Autriche, la patrie de Lise Meitner. Du coup, les lois antijuives allemandes s’appliquèrent à elle, et elle perdit son poste de directrice du Département de physique nucléaire au KWI für Chemie. Lise Meitner parvint à fuir, le 17 juillet, vers la Suède, où Manne Siegbahn (prix Nobel de physique en 1924 pour ses travaux sur la spectroscopie des rayons X) lui concéda un bureau sous la pression de Niels Bohr. Elle demeura en correspondance régulière avec Hahn et Strassmann, et pour régler la controverse avec Irène Curie, elle leur demanda d’en reproduire soigneusement l’expérience.

Anschluss

Annexion de l’Autriche par l’Allemagne, le 12 mars 1938

La découverte de la fission

Hahn et Strassmann

En novembre 1938, Hahn et Strassmann répétèrent donc avec un soin extrême l’irradiation de l’uranium avec des neutrons, et ils identifièrent 16 demi-vies radioactives différentes (dont une de 2.5h plutôt que de 3.5 h). Logiquement, cela devait correspondre à différents isotopes de l’uranium lui-même, à d’éventuels transuraniens, et aux résultats de transmutations alpha ou bêta aboutissant sans doute à des isotopes non identifiés du thorium, de l’actinium ou du radium. Restait à séparer chimiquement les différents constituants avec le plus grand soin.

Table de travail d'Otto Hahn

La table de travail d’Otto Hahn en 1938 ©Hulton Archives. Au premier plan, de gauche à droite, un compteur numérique, un amplificateur et un compteur Geiger, au second plan une batterie (d’autres sous la table) et à droite une source de neutrons entouré de paraffine.

Table de travail de Hahn

La même, reconstituée au Deutsche Museum ©Wikimedia Commons

Leur procédure était très logique et très éprouvée. Ils utilisaient le lanthane (Z=57) pour isoler et entraîner les éléments au comportement analogue aux terres rares (lanthanides), comme l’actinium, et le baryum (Z=56) pour entraîner les alcalino-terreux, comme le radium (ou le calcium, le magnésium…). Puis ils séparaient par cristallisation fractionnée l’élément recherché de l’entraîneur, l’élément le plus lourd cristallisant un peu plus vite que le plus léger. C’est la technique qu’avait employé quarante ans plus tôt Marie Curie pour découvrir le radium.

Parmi les différents éléments, Hahn et Strassmann se focalisèrent sur quatre « isotopes du radium Z=88 » qui subissaient tous une transition bêta mais de demi-vies très différentes, moins d’une minute, 14±2 mn, 86±6 mn et 10 à 15 jours respectivement. Les transitions bêta conduisaient à quatre « isotopes de l’actinium Z=89 » de demi-vies estimées à 30 mn (Ac I), 2.5 h (Ac II, celui de Curie et Savitch), au moins plusieurs jours et 40 h. Dans un premier temps, ils n’avaient d’ailleurs identifié que trois de ces isotopes, et la question troublante de l’isomérie triple – ou ternaire – semblait réapparaître pour le radium (et l’actinium) après l’uranium.

Ce n’était pas non plus facile, d’un point de vue théorique, de comprendre l’apparition de radium par bombardement neutronique d’uranium, ce qui supposait deux transitions alpha successives, qui n’avaient pas été observées. Mais Hahn et Strassmann étaient des chimistes et leur intérêt se portait plus sur les « isotopes du radium » que sur les mécanismes nucléaires. Leur « radium III » (celui de demi-vie 86 mn) suivait imperturbablement le baryum sans que la cristallisation parvienne à l’en séparer. Troublés, ils décidèrent de contrôler leur technique en ajoutant à la solution un isotope du radium qu’ils connaissaient très bien pour l’avoir découvert trente ans plus tôt, le mésothorium ou radium 228. Mais cela ne donna rien, ou plus exactement le radium 228 se séparait sans difficulté majeure du baryum, même en très petite quantité, tandis le « radium III » restait avec le baryum comme l’indiquait la décroissance de radioactivité du mélange.

Radiochimie de Hahn

La conclusion semblait imparable : leur « radium III » n’était pas un isotope inconnu du radium mais un isotope radioactif du baryum. Il s’agissait en fait du baryum 139, dont la demi-vie de 83 mn était déjà connue. De même, le « radium II » était du baryum 141 et le « radium IV » du baryum 140(dont la demi-vie est effectivement 13 jours). Et une transmutation bêta du baryum donne un isotope du lanthane, en accord avec les observations de Curie et Savitch. Ils confirmèrent cette idée en ajoutant du lanthane (naturel, essentiellement du lanthane 139) et du mésothorium II (actinium 228) à leur « actinium II », celui de Curie et Savitch, et ils observèrent que l’ « actinium II » se séparait de l’actinium et suivait le lanthane. Une fois acceptée l’idée qu’ils avaient bien affaire au baryum et au lanthane, Hahn et Strassmann identifièrent le « radium III » au baryum 139, et l’ « actinium IV » au lanthane 140 (demi-vie connue de 40 h). Cela associait donc son prédécesseur, le « radium IV », au baryum 140.

Hahn

Ra I Ba 143 ? 15 s Ac I La 143 ? 14 mn
Ra II Ba 141 18 mn Ac II La 141 3.92 h
Ra II Ba 139 83 mn Ac III La 139 stable
Ra IV Ba 140 12.7 j Ac IV La 140 40 h

Mais obtenir des éléments aussi légers à partir du bombardement de l’uranium par des neutrons paraissait invraisemblable, et Hahn écrivit le 19 décembre à Meitner pour lui relater leurs résultats et lui faire part de ses hésitations. « Peut-être pourriez-vous proposer quelques fantastiques explications », écrivit-il pour finir.

Hahn

Otto Hahn

Mais le risque était trop grand qu’Irène Curie parvienne à une conclusion analogue, en finissant par admettre que son élément de demi-vie 3.5 h inséparable du lanthane était réellement du lanthane, et Hahn et Strassmann se résolurent à envoyer le 22 décembre 1938 leurs résultats à la revue Naturwissenschaften, sans attendre la réponse de Meitner. Ils utilisèrent un titre très neutre, « Sur l’existence des métaux alcalino-terreux résultat de l’irradiation de l’uranium avec des protons », et leur conclusion fut des plus ambiguës : « En temps que chimistes nous devrions vraiment [écrire] les symboles Ba, La, Ce au lieu de Ra, Ac, Th. Cependant en tant que chimistes nucléaires, travaillant près du domaine de la physique, nous ne pouvons nous résoudre à franchir un pas aussi radical qui va à l’encontre de toute expérience antérieure en physique nucléaire. ».

Strassmann Strassmann

Fritz Strassmann

Meitner et Frisch

À ce moment là, Lise Meitner venait d’avoir 60 ans, elle était isolée, en exil dans un pays dont elle ne parlait pas la langue, où elle ne connaissait presque personne, sans disposer d’aucun laboratoire, d’aucun soutien ni d’aucun moyen (Mannes Siegbanh n’ayant consenti à lui laisser un bureau que sur l’insistance de Niels Bohr). Pourtant elle fut la première à comprendre ce qui s’était passé.

Frisch

Otto Frisch

Elle reçut le 21 décembre la lettre de Hahn, et elle lui répondit immédiatement qu’il était très surprenant que des neutrons lents puissent produire du baryum en frappant de l’uranium, mais que la physique nucléaire leur avait déjà apporté tant de surprises qu’on ne pouvait pas considérer cela comme impossible. Son neveu Otto Frisch (1904-1979), qui travaillait avec Bohr à Copenhague sur la physique des neutrons, vint lui rendre visite pour Noël et ils discutèrent longuement de la lettre de Hahn. Meitner avait du mal à admettre qu’une réaction nucléaire sur l’uranium puisse produire du baryum, ce qui revenait à éjecter d’un seul coup plus d’une centaine de nucléons du noyau. Puis ils eurent une inspiration. Lise Meitner dessina deux cercles concentriques, en disant « Et si c’était quelque chose de ce genre ? » Otto Frisch était arrivé à la même image, mais lui la dessina sous la forme d’un cercle pincé au milieu, et Meitner acquiesça :

Schéma de la fission

L’idée était que, si le noyau était modélisé par une goutte d’eau, cette goutte pouvait se déformer sous le choc d’un neutron, se pincer au milieu et se couper en gouttelettes. Il n’était pas question d’une émission quantique de particules par le noyau, mais d’un mécanisme semi-classique de déformation du noyau et de scission en plusieurs fragments. L’étranglement de la goutte réduirait beaucoup les forces nucléaires attractives (à très courte portée) entre les deux parties, tandis que les forces électromagnétiques répulsives seraient à peine plus faibles. Frisch apporta sa connaissance de la dynamique nucléaire, développée alors à Copenhague par Bohr et Kalckar, à Meitner, qui maîtrisait plutôt la statique du noyau.

Schéma de fission

Meitner et Frisch raisonnèrent en se disant que plus un noyau était lourd, plus il contenait de protons et plus les forces de répulsion électromagnétiques entre eux étaient importantes, affectant la cohésion du noyau. Peut-être l’arrivée du neutron perturbait-elle son équilibre, le faisant osciller ou vibrer suffisamment pour qu’il se brise en deux fragments ? Cela expliquerait la présence de baryum (Z=56). Le deuxième fragment serait alors l’élément Z = 92-56= 36, donc du krypton. Mais en ce cas, immédiatement après la brisure, les deux nouveaux noyaux sont très proches l’un de l’autre et comme ils sont fortement chargés électriquement, ils doivent se repousser violemment, acquérir une grande vitesse, et donc une forte énergie cinétique.

Schéma de fission

Meitner et Frisch calculèrent grossièrement que deux charges électriques Z1=56 et Z2=36 unités séparées d’une distance D de l’ordre de 7 à 8 fm (le rayon du noyau d’uranium) posséderaient une énergie potentielle électrostatique E=Z1Z2e2/D ~ 200 MeV, convertie par la suite en énergie cinétique des fragments. C’était énorme, une centaine de fois plus élevé que les énergies habituelles en physique nucléaire qui tournaient plutôt autour du MeV.

Répulsion électrostatique des deux fragments :

ou, de façon équivalente à partir de l’énergie de liaison des noyaux

L’énergie de liaison par nucléon (courbe d’Aston) est en effet de 7.6 MeV pour un noyau de nombre de masse A~240, de 8.4 pour un noyau de nombre de masse A~140 et de 8.6 environ pour un noyau de nombre de masse A~100. En fragmentant un gros noyau A~240 en deux noyaux plus petits A~100 et A~140, on libère effectivement 7.6*240 – 8.4*140 – 8.6*100 = 1824-1176-860 = -212 MeV

Energie de liaison et fission

Modification de l’énergie de liaison lors d’une fission nucléaire ©DoE

L’idée d’une brisure du noyau d’uranium était viable ! Ils rédigèrent un brouillon d’article Disintegration of uranium by neutrons envoyée le 16 janvier à la revue Nature qui la publia le 11 février (Nature 143-239), expliquant que les résultats surprenants de Hahn et Strassmann, comme ceux de Curie et Savitch auparavant, s’expliquaient par une brisure du noyau d’uranium.

Frisch retourna à Copenhague après ces vacances studieuses, et parvint le 6 janvier à parler quelques minutes à Bohr, qui partait prendre le bateau pour un séjour de plusieurs mois au États-Unis. Bohr comprit instantanément, s’exclamant « Quels idiots nous avons tous été de ne pas le voir avant ! Évidemment, c’est exactement comme cela que ce doit être ! »

Frisch

Bohr parti, Frisch monta une expérience rapide pour démontrer la présence des fragments de fission. L’énergie libérée dans la fission devait propulser les fragments à grande vitesse, et de fortes charges à grande vitesse devraient provoquer une très forte ionisation. Le plus simple pour la mettre en évidence une radioactivité était d’utiliser une chambre d’ionisation, comme les Curie quarante ans plus tôt, mais les progrès techniques permettaient désormais à Frisch de la raccorder à un amplificateur et un oscilloscope. Chaque passage de particules ionisantes se traduisait sur l’écran de l’oscilloscope par une impulsion d’autant plus forte que l’énergie de la particule était grande. Si la fragmentation du noyau était une réalité, les fragments devraient provoquer des impulsions beaucoup plus fortes que toutes les particules connues, puisqu’on devait avoir des énergies d’une centaine de MeV au lieu des quelques MeV habituels.

Frisch détecta cet effet dès le 13 janvier 1939. et envoya son article. Après en avoir discuté par téléphone avec Meitner, il envoya le 16 janvier deux articles à la revue Nature, celui qui présentait leur interprétation des résultats de Hahn et Strassmann, l’autre (Physical evidence for the division of heavy nuclei under neutron bombardment, Nature 143-276) leur confirmation par une méthode physique indépendante. Ils parurent à une semaine d’intervalle, le 11 et le 18 février. Frisch introduisit dans le premier article le mot de « fission », suggéré par le biologiste américain William A. Arnold, venu à Copenhague travailler en radiobiologie avec George de Hevesy : c’était le mot employé par les biologistes pour désigner la division d’une cellule.

Fission: image symbolique

Frédéric Joliot

Joliot par Picasso

Une réaction ultra-rapide

Joliot suivait la controverse entre Paris et Berlin sur le bombardement neutronique de l’uranium. Mais il était très occupé par la construction du cyclotron au Collège de France et par la synthèse de radioéléments pour la biologie et la médecine à Ivry.

Le 16 janvier 1939, Lew Kowarski (1907-1979) attira l’attention Frédéric Joliot l’article de Hahn et Strassmann « Sur l’existence de métaux alcalino-terreux à la suite du bombardement de l’uranium par des neutrons » (publié le 6) qui venait d’arriver au Collège de France. Joliot ne connaissait pas encore l’explication de Meitner et Frisch, qui ne fut publiée que le 11 février, mais il la retrouva indépendamment (à la différence de Bohr à qui Frisch avait parlé, et des exilés aux États-Unis à qui Bohr avait donné l’explication). Il réagit extrêmement vite avec une ampleur de vue inégalée, montrant qu’il était bien un des plus grands physiciens du XX° siècle. En à peine trois mois, après avoir appris qu’on trouvait du baryum quand on bombardait l’uranium avec des neutrons, il eut l’idée de la fission de l’uranium, imagina une expérience pour vérifier cette idée, supposa que des neutrons pourraient être émis au cours de la fission, et monta une autre expérience pour vérifier cette hypothèse. Observant des neutrons secondaires, il pensa qu’une réaction en chaîne était possible et il imagina l’architecture d’un réacteur nucléaire capable de produire de grandes quantités d’énergie et d’assurer ainsi l’indépendance énergétique de la France, ainsi que la possibilité d’une bombe nucléaire, et il en déposa les brevets dès le 1° mai 1939. Dans la foulée il prit des contacts au plus haut niveau du gouvernement français pour assurer l’exploitation de ces brevets, ainsi qu’avec l’Union minière du Haut Katanga, principal producteur mondial d’uranium, pour s’en assurer une fourniture adéquate. En quatre mois, il avait lancé la France dans l’aventure de l’énergie nucléaire en prenant une avance considérable sur toutes les autres équipes. Mais la guerre allait stopper net cet élan.

Énergie de la réaction en chaîne : chaque «rupture explosive» d’un noyau d’uranium libère ~ 200 MeV, la combustion d’un atome de carbone (C→CO2) libère 4 eV, d’où l’équation grossière :1 kg d’uranium = 25 000 tonnes de charbon… ou de dynamite (uranium : 238 g ; carbone : 12 g). Mais 238U n’est fissible que par des neutrons rapides, 235U est fissible par des neutrons lents et rapides, et 235U ne représente que 0,7% de l’uranium naturel ⇒ seulement un ordre de grandeur.

Remarquons que si Hahn, Frisch, Meitner, ou même Irène Curie, s’intéressèrent avant tout à l’identification des fragments et à l’énergie libérée, Joliot s'attacha d’emblée aux conséquences de la fission, et en particulier à la possibilité d’une réaction en chaîne. Il se lança immédiatement dans une série d’expériences puis mit sur pied un programme de développement technologique de grande ampleur. Fermi et Szilárd eurent, à New York, la même réaction que lui, mais ils étaient des étrangers en exil et ils ne disposèrent pas avant plusieurs années des appuis et des moyens que Joliot sut rassembler immédiatement. Bohr, de son côté, fut presque le seul à se passionner avant tout pour le mécanisme de la fission, et à en bâtir la théorie permettant de prévoir quels noyaux pourraient fissionner et dans quelles conditions.

Fission?

Le 16 janvier 1939, Frédéric Joliot lut donc l’article de Hahn et Strassmann et il s’enferma deux jours dans son bureau pour y réfléchir. Selon Radvanyi, Joliot étudiait les applications biologiques des traceurs radioactifs quand il passa près de Halban qui avait reçu une lettre de Frisch attirant son attention sur l’article de Hahn et Strassmann (publié le 6 janvier) et Halban s’efforçait sans succès de mettre au point une expérience démontrant la fission. Halban traduisit à Joliot les passages les plus importants. Sans le savoir, les réflexions de Joliot suivirent le même chemin que celles de Meitner et de Frisch. Il admit sans hésiter que l’irradiation de l’uranium avait bel et bien produit du baryum, et que le noyau se brisait donc en deux fragments, au moins. Il comprit lui aussi que les noyaux engendrés, ayant des charges ~56 et ~36 se repousseraient violemment et s’éloigneraient en accélérant.

Le même rapide calcul que celui de Meitner et Frisch (E = e2Z1Z2/r , r = 10-14 m, Z1 = 56, Z2 = 36 ⇒ E = 200 MeV) lui montra que cette répulsion communiquerait aux fragments une énergie cinétique d’environ 200 MeV, valeur tout à fait cohérente avec l’énergie libérée par la brisure d’un noyau lourd en deux fragments plus légers. Il pensa également que les fragments, plus riches en neutrons que les noyaux stables de même masse, seraient sûrement radioactifs bêta.

L’objectif immédiat de Joliot fut donc de détecter des noyaux instables possédant une énergie de plusieurs dizaines de MeV chacun. Disposant d’une pareille énergie, les fragments ne pouvaient pas rester dans l’uranium, ils devaient être éjectés à grande vitesse (V ~ [2E/M]½ ~ 3x108[400/100 000]½ ~ 2x107 m/s). Son expérience des rayonnements ionisants lui indiqua qu’à ces énergies leur libre parcours moyen dans l’air serait de quelques centimètres. Sur ces bases, il imagina et réalisa du 26 au 28 janvier 1939 une expérience très simple.

Première expérience de Joliot

Le montage très simple imaginé par Frédéric Joliot pour démontrer la présence de fragments de fission de haute énergie.

Un cylindre en laiton creux de 2 cm de diamètre et 5 cm de haut était recouvert d’oxyde d’uranium sur sa face externe, et il était inséré dans un autre cylindre creux en bakélite, d’un diamètre de 5 cm. Joliot plaça au centre de l’ensemble une source de neutrons (en associant du radon et du béryllium) et la laissa irradier l’uranium. Puis il retira le cylindre d’uranium et la source de neutrons, il introduisit à leur place un compteur Geiger et il mesura la radioactivité dégagée par la paroi de bakélite, et sa décroissance au cours du temps. Il vérifia que cette radioactivité était absente s’il plaçait la source de neutrons sans mettre d’uranium, ou s’il mettait l’uranium sans placer de source de neutrons. Elle venait donc bien de l’irradiation de l’uranium, ou plus exactement des fragments éjectés avec une grande énergie lors de la brisure des noyaux. Cela confirmait, par une autre méthode, les résultats de Frisch à Copenhague dont Joliot n’avait pas encore connaissance.

Joliot examina si d’autres éléments étaient susceptibles de se fragmenter par bombardement de neutrons. Il obtint des résultats analogues avec du thorium (Z=90) à la place de l’uranium, mais pas pour le plomb (82), le thallium (81), le mercure (80), l’or (79) ou le platine (78) Le 30 janvier, il publia une note à l’Académie des Sciences « Preuve expérimentale de la rupture explosive des noyaux d’uranium et de thorium sous l’action des neutrons » présentant ses résultats. Il mentionnait même qu’il « se peut qu’un petit nombre de neutrons s’évaporent » car il avait déjà en tête l’étape suivante, la possibilité d’une réaction en chaîne.

Timbre à l'effigie des Joliot-Curie

Ce timbre en l’honneur de Frédéric et Irène Joliot-Curie montre un schéma de fission et une réaction en chaîne.

Le même jour, Irène Curie et Paul Savitch publièrent une note où ils disent qu’ils avaient bien envisagé une telle brisure de l’uranium, mais qu’ils n’avaient pas publié leurs conclusions car elles semblaient contraires aux résultats annoncés par le groupe de Berlin. Le vieil antagonisme entre Irène Curie et Lise Meitner n’était pas mort ! On peut évidemment se demander ce qui se serait passé si Irène et Frédéric avaient continué à collaborer étroitement après leur découverte de la radioactivité artificielle. Le discours Nobel de Frédéric Joliot évoquait bien la possibilité de réactions nucléaires en chaîne (même s’il ne pensait pas alors à des brisures du noyau mais, comme Szilárd d’ailleurs, plus à une sorte d’épluchage au cours duquel les noyaux perdraient quelques nucléons).

Joliot confirma ces observations dans le courant de février avec une chambre de Wilson

Chambre de Wilson et fission

Neutrons secondaires?

Les noyaux lourds ont proportionnellement bien plus de neutrons que les noyaux plus légers. Que se passait-il au moment d’une fission ? Joliot envisagea deux possibilités : soit la brisure libérait au moins une partie des neutrons en surnombre, et on devrait alors observer des neutrons libres parmi les produits de réaction, soit les noyaux formés conservaient tous les neutrons. Dans ce cas, ils seraient excessivement riches en neutrons, et de ce fait le siège d’une intense radioactivité bêta qui devrait être aisément détectable. Une fission en trois voire quatre noyaux n’était pas exclue expérimentalement à cette époque, mais elle donnerait des fragments plus légers qu’une fission en deux noyaux, et de ce fait l’excès de neutrons serait encore plus grand. Pour l’expérience envisagée par Joliot, la situation serait encore plus favorable. Il pouvait donc ne considérer que la possibilité d’une fission en deux fragments, qui se trouve être la solution choisie par la nature.

Plus précisément si de l’uranium (élément Z=92) se brise en donnant du baryum (élément Z=56), l’autre noyau est nécessairement l’élément Z=92-56=36, donc du krypton. En plus de ses 92 protons, l’uranium 238 a 146 neutrons, auxquels s’ajoute le neutron incident. Cependant, le baryum ayant normalement 82 neutrons (Ba 138) et le krypton 48 (Kr 84), il y a 17 neutrons en trop (238+1-138-84). Si les isotopes formés conservent tous les neutrons, il s’agit par exemple de baryum 148 et de krypton 91 et ils sont extrêmement instables par transmutation bêta (ils ont effectivement des temps de vie de 0.6 s et 8.6 s, et ils donnent du lanthane 148 et du rubidium 91 presque aussi instables). Par exemple, si on a 23992U → 14156Ba + 9236Kr + 6n, 6 neutrons sont libérés et les fragments de fission 14156Ba → 14159Pr avec 3 transmutations bêta successives, et 9236Kr → 9240Zr avec 4 transmutations bêta successives.

La fission de l’uranium donne en fait toute une gamme de « produits de fission » car toute combinaison de noyaux donnant Z=92 est a priori acceptable ☞ difficultés rencontrées par les radiochimistes pendant quatre ans. Parfois c’est plutôt du lanthane (Z=57) qui se forme au lieu de baryum, comme l’avait découvert Irène, quoiqu’à ce stade il soit difficile de savoir si du lanthane est directement produit dans la fission ou s’il se forme toujours du baryum qui se transmute ensuite en lanthane. Plus de deux cents noyaux différents peuvent apparaître, et la plupart sont extrêmement instables (car excessivement riches en neutrons) et ils disparaissent presque immédiatement. C’est d’ailleurs l’origine du problème des déchets radioactifs produits dans un réacteur (ou une bombe), dont les plus dangereux sont le césium 137 et le strontium 90.

Produits de fission

L’expérience montre que l’uranium se fragmente en deux noyaux de masses inégales, un « gros » fragment de masse généralement entre 130 et 140 et un « petit » fragment de masse entre 90 et 100. Le mode de fragmentation dépend d’ailleurs de l’énergie du neutron.

Joliot décida de commencer par rechercher la présence éventuelle de neutrons secondaires libres. C’était en effet la possibilité la plus riche de conséquences puisque ces neutrons pourraient à leur tour provoquer d’autres brisures et créer la réaction en chaîne qu’il évoquait en 1935. L’intérêt pratique est que chacune de ces « ruptures explosives » libère près de 200 MeV par noyau d’uranium, ce qui représente dix millions de fois l’énergie libérée par chaque atome lors de la combustion du carbone. D’où l’équation grossière 1 kg d’uranium = 10 000 tonnes de charbon… ou de dynamite ! Cette énergie se retrouve à 85% dans l’énergie cinétique des produits de fission, 5% dans les gammas de désexcitation immédiate et les 10% restants dans les bêtas, gammas et neutrinos des transmutations ultérieures (donnant entre autres des neutrons retardés d’une importance cruciale pour le pilotage d’un réacteur nucléaire, mais ceci une autre histoire).

L’uranium n’a pourtant pas de réaction en chaîne spontanée dans la nature (les mines d’uranium n’explosent pas) et Joliot aurait pu en déduire que la brisure de l’uranium ne libérait pas de neutrons, ou que ces neutrons étaient incapables de produire d’autres brisures. Bohr se posa la question, et il finit par conclure que ce n’était pas l’uranium 238 qui fissionnait, mais l’isotope (rare) uranium 235, l’uranium 238 jouant le rôle d’un absorbant inerte freinant toute réaction en chaîne. Mais Joliot était un pragmatique et il décida de rechercher des neutrons secondaires : s’il en trouvait, une réaction en chaîne était en principe possible, quitte à laisser aux théoriciens le soin d’expliquer la contradiction avec l’absence de réactions spontanées, et aux expérimentateurs le soin de les mettre en œuvre en pratique. Joliot n’avait pas d’expérience des neutrons, et il fit appel à Lew Kowarski et à Hans Halban, qui en avaient une longue pratique.

Kowarski

Lew Kowarski (1907-1979), ingénieur chimiste d’origine russe, avait travaillé avec Joliot dès 1934 sur le comptage de neutrons. En 1940, il rejoignit le Cavendish à Cambridge en Angleterre puis Montréal (en 1944 quand Cockroft remplaça Halban comme directeur, Placzek étant chef du groupe de théorie). Kowarski dirigea la construction du réacteur ZEEP qui divergea le 5 septembre 1945 (base des actuels réacteurs CANDU). Il revint ensuite en France réaliser les premiers réacteurs français, ZOE/EL-1 qui divergea le 15 décembre 1948 à Fontenay-aux-Roses et EL-2 en 1952. Il fut également un des créateurs du CERN en 1952.

Hans (von) Halban (1908-1964), d’origine autrichienne, avait passé son doctorat à l’ETH de Zürich en 1936 et il avait passé un an à Copenhague où il travailla avec Frisch sur l’absorption (très faible) des neutrons par l’eau lourde. Il avait rejoint en 1937 le groupe de Joliot au Collège de France. Comme Kowarski, il rejoignit le Cavendish puis en 1942 partit à Montréal diriger le nouveau laboratoire nucléaire. Sa direction ne fut guère heureuse et le général Groves (chef du programme Manhattan) prit prétexte de la visite de Halban à Joliot en août 1944 pour le remplacer par Cockroft. En 1945, il partit à Oxford (sur l’invitation de F. Lindeman, aka Lord Cherwell) diriger un groupe du laboratoire Clarendon en liaison étroite avec le centre de recherche atomique de Harwell. Il revint en France en 1954 diriger la construction du Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire (LAL) sur le nouveau campus d’Orsay, à proximité de l’Institut de physique Nucléaire (IPNO) que construisait Irène Joliot-Curie (IPN et LAL étaient initialement un seul labo? À vérifier).

Ils montèrent ensemble une expérience en février pour détecter d’éventuels neutrons secondaires. L’idée de Kowarski, simple, était de détecter un accroissement du nombre de neutrons quand on irradiait de l’uranium avec des neutrons. Une cuve plate (80 cm de long, 15 cm de large et 3 cm de haut) contenait une solution de nitrate d’uranyle dans l’eau (l’eau servait de modérateur pour rendre les neutrons plus efficaces, comme Fermi l’avait montré en 1934) et du dysprosium (Z=66). Ce dernier, un lanthanide, devient radioactif bêta quand il est irradié par des neutrons.

164Dy + n → 165Dy → 165Ho + e- + ν (½ vie 2,3 h)

Ils placèrent au centre une source de neutrons radium-béryllium de faible intensité (pour réduire le risque d’une éventuelle réaction n+U→2n+U). Ils estimèrent le nombre de neutrons en différents points de la cuve en mesurant ensuite la radioactivité bêta du dysprosium avec un compteur Geiger-Müller. Comme prévu, cette radioactivité diminuait quand on s’éloignait de la source, puis remontait ensuite (car les neutrons ralentis étaient plus efficaces pour activer le dysprosium) avant de diminuer à nouveau fortement (moins de neutrons pour provoquer une fission ?). Ils effectuèrent une expérience de contrôle avec du nitrate d’ammonium (NH4NO3) à la place du nitrate d’uranyle (UO2(NO3)2).

En comparant les deux expériences, ils observèrent que le flux de neutrons était de 5% plus intense quand l’uranium était présent, et que la radioactivité diminuait plus lentement loin de la source de neutrons. Ils en conclurent que des neutrons étaient produits en dehors de la source. L’augmentation pouvait également s’interpréter en supposant que les neutrons étaient moins absorbés par l’uranium que par l’hydrogène, mais d’une part cela était invraisemblable et d’autre part cela n’aurait pas expliqué la diminution plus lente loin de la source. Ils conclurent donc que l’uranium irradié libérait des neutrons en nombre suffisamment important pour compenser leur absorption par l’uranium. Leur article « Liberation of Neutrons in the Nuclear Explosion of Uranium », soumis le 8 mars, fut publié le 18 mars dans la revue Nature. Dès le 15 mars, ces résultats étaient corroborés par Anderson et Fermi et par Szilárd et Zinn à Columbia, et par Flerov et Rusinov à Léningrad.

Joliot, Halban et Kowarski

Joliot, Halban et Kowarski, peu après la guerre

L’équipe de Joliot mesura également l’activité des neutrons en remplaçant de dysprosium par d’autres détecteurs que les neutrons rendaient radioactifs. Cela permettait une mesure (estimation ?) de l’énergie des neutrons : le dysprosium était sensible aux neutrons thermiques (au voisinage de 0,016 eV), l’indium aux neutrons de 0.5 eV et l’or à ceux de 2.7 eV. Dans tous les cas, la radioactivité des détecteurs se mesurait au moyen de compteurs de Geiger-Müller. [conférence Kowarski 1946]

Toujours en mars, Dodé, Halban, Joliot et Kowarski montrèrent qu’il y avait une absorption de neutrons lents et une production de neutrons rapides en entourant de nitrate d’uranyle leur source de neutrons lents et en enveloppant le tout de phosphore (à 100% du phosphore 31 stable) dissous dans du sulfure de carbone. Quand l’énergie du neutron dépasse 0,9 MeV, la réaction 31P +n → 32P est possible, suivie d’une transmutation β : 32P → 32S (avec une ½ vie de 14 jours.

Après six jours d’irradiation, le phosphore fut extrait et il montrait une radioactivité mesurable. La fission par les neutrons lents avait donc bien libéré des neutrons rapides avec une énergie de l’ordre du MeV (en fait elle varie de 0.5 à 4 MeV, avec une énergie moyenne de 2 MeV). Ce résultat paru le 27 mars « Sur l'énergie des neutrons libérés lors de la partition nucléaire de l'uranium » dans les Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences CRAS208-995.

Mais la valeur essentielle pour savoir si une réaction en chaîne était possible, c’était le nombre moyen de neutrons libérés au cours d’une fission. Compte tenu des pertes inévitables de neutrons, ce nombre critique doit être supérieur à 1, et même nettement supérieur, pour que la réaction soit auto-entretenue. En analysant plus quantitativement leurs expériences, Halban, Kowarski et Joliot estimèrent à 3.5±0.7 le nombre moyen de neutrons libérés par chaque fission, et ils envoyèrent ce résultat le 7 avril dans Nature (paru le 22) sous le titre « Liberation of neutrons in the nuclear explosions of uranium ». L’article eut un énorme retentissement, des États-Unis à l’URSS, en passant par l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Une réaction en chaîne entretenue paraissait donc possible et Joliot annonça immédiatement qu’il allait monter une nouvelle expérience pour la mettre en évidence. En réalité, le nombre moyen de neutrons secondaires est nettement plus faible, de l’ordre de 2.5. L’équipe de Joliot avait surestimé le nombre de neutrons secondaires car elle n’avait pas tenu compte du fait que les neutrons libérés par une première fission pouvaient à leur tour provoquer une autre fission un peu plus loin. Bien que ce soit le principe même de la réaction en chaîne à laquelle ils s’intéressaient, tous les physiciens avaient tellement l’habitude de travailler avec des cibles minces (où la probabilité de réactions successives est négligeable) qu’ils avaient oublié de tenir compte du fait qu’ils travaillaient désormais en volume. Leur erreur ne fut d’ailleurs décelée par personne pendant près d’un an avant que Louis Turner, à Princeton, la corrige dans son article du 25 janvier 1940 (Phys. Rev. 57-334) sur le nombre de neutrons secondaires.

Réaction en chaîne?

Le nombre de neutrons secondaires est une quantité essentielle pour savoir si une réaction en chaîne est possible :

L’uranium naturel ne subissait pas de réaction en chaîne spontanée, et les physiciens se demandèrent pourquoi. Pas assez de neutrons ? Pas assez d’énergie pour provoquer une fission ?

Réaction en chaîne

Monter une expérience pour mettre en évidence une réaction en chaîne se révéla beaucoup plus difficile que les expériences précédentes. L’équipe de Joliot se heurta à tout un éventail de difficultés insoupçonnées. D’abord, les physiciens avaient une longue habitude de bombarder des cibles minces avec des projectiles rectilignes, mais aucune expérience des diffusions multiples en volume. Ils allaient mettre quelque temps à s’affranchir de simplifications pratiques, mais abusives, comme celle qui avait conduit à surestimer le nombre de neutrons secondaires. Ensuite, ils allaient vite devoir traiter simultanément plusieurs types de noyaux (U238, U235, produits de fission, produits de capture, modérateur, absorbants, impuretés) avec des répartitions spatiales très variées (homogènes, hétérogènes en couches, en réseau, en cubes) Tout ceci nécessita de mettre au point de nouvelles méthodes de calcul et de nouvelles méthodes expérimentales. La neutronique allait se révéler une science complexe nécessitant des années de recherches avant d’aboutir à une maîtrise partielle.

Masse critique

Comme Szilárd l’avait subodoré quelques années plus tôt, la taille de la zone réactive est essentielle : si la taille est trop petite, les pertes de neutrons par « évaporation » hors du volume de réaction sont bien plus grandes que la production de neutrons par fission, et la chaîne s’interrompt rapidement. Pour une très grande taille, ces pertes deviennent négligeables puisqu’elles augmentent comme le carré des dimensions (la surface) alors que la production augmente comme le cube des dimensions (le volume). Il existe donc une taille « critique », celle où la production équilibre les pertes et permet à la réaction en chaîne de se dérouler à un rythme constant. En dessous de la taille critique, la réaction s’éteint exponentiellement, au dessus, elle diverge exponentiellement. Et bien sûr, à une taille critique correspond une masse critique d’uranium. Le libre parcours moyen des neutrons se mesurant en centimètres (pas en fermis ni en années-lumière), il en est de même du rayon critique.

Masse critique : un neutron parcours en moyenne une distance λ avant d’interagir et dans une sphère de diamètre << λ, la plupart des neutrons sortent sans interagir et la réaction en chaîne s’arrête, tandis que dans une sphère de diamètre >> λ, la plupart des neutrons provoquent une nouvelle réaction et la réaction en chaîne diverge exponentiellement. La taille critique est donc ~ λ (et donc la masse critique ~ ρλ3). Avec une densité (numérique) n ~ 5x1028 m-3 et une section efficace de fission σ ~ 10-28 m2 (1 barn), λ = 1/nσ = 0,2 m = 20 cm, et une sphère d’uranium (densité 19) de 20 cm de diamètre a une masse de 80 kg.

Mais 10 cm ou 1 m font une grande différence car le volume varie comme le cube du rayon et, l’uranium étant très dense, les masses vont de dizaines de kilos à des dizaines de tonnes. Estimer plus précisément cette masse critique est donc essentiel. C’est Francis Perrin qui en publia la première évaluation dans une note du 1° mai 1939 à l’Académie des Sciences « Calcul relatif aux conditions éventuelles de transmutation en chaine de l’uranium » (CRAS 208-1394 puis 1573), où il introduisait d’ailleurs le terme de masse critique. Il supposa le matériau homogène (oxyde d’uranium de densité 8 à 10, l’uranium métallique étant alors difficile à fabriquer), prit pour rayon critique 5 fois le libre parcours moyen, ce qui semblait alors plausible : si un grand nombre des neutrons produits par la fission s’échappaient avant de produire de nouvelles fissions, une réaction en chaine entretenue semblait impossible.

Perrin estima à 40 tonnes d’oxyde d’uranium la quantité nécessaire à maintenir une réaction en chaîne. Quelle section efficace a-t-il utilisé? En avril 1939, il ne devait pas y avoir d’autre donnée pour la section efficace de fission que la section efficace de fission lente pour l’uranium naturel, 140 fois plus faible que celle de l’uranium 235, et c’est probablement celle que Perrin a dû utiliser pour son calcul. Ce qui suppose que l’équipe Joliot l’ait estimé à parir des expériences de Kowarski et al.

CP-1, le premier réacteur de Fermi employa effectivement 40 tonnes d’oxyde d’uranium, et près de 400 tonnes de graphite comme modérateur. Perrin évalua également la possibilité de réduire fortement cette masse en entourant la zone de réaction par un réflecteur de neutrons limitant les pertes (un tamper en anglais), et il examina l’influence d’un modérateur ralentissant les neutrons et augmentant leur probabilité d’interaction. En ce cas, il estima que la masse d’oxyde d’uranium pourrait être réduite à 12 tonnes (il ramena cette valeur à 5 tonnes dans son deuxième article).

La réalisation d’une bombe parut difficile à Perrin. D’abord la masse d’uranium (plus tous les mécanismes de contrôle et l’habillage nécessaire) lui semblaient exclure une utilisation militaire. La bombe d’Hiroshima pesait quatre tonnes, dont seulement 64 kg d’uranium. Et surtout il pensa que dès le début de la réaction en chaîne, l’énergie libérée soufflerait tout l’ensemble et arrêterait l’explosion presque immédiatement, ne libérant au total guère plus d’énergie qu’une explosion chimique classique. Le risque d’une explosion avortée fut effectivement l’un des gros soucis des équipes de Los Alamos (fizzle ou fiasco). Et, de fait, si l’on a juste une seule masse critique, la réaction en chaîne s’interrompt immédiatement. Il est indispensable de rassembler une masse nettement supérieure à la masse critique pour avoir une explosion (ce que firent Frisch et Peierls dans elur mémorandum de 1940), et le rendement demeure faible : en rassemblant deux masses critiques, il n’y a que 5% de l’uranium qui fissionne avant que l’explosion stoppe la réaction en chaîne. La réalisation d’un réacteur parut donc plus accessible, avec comme objectif un générateur d’énergie ou un moteur (pour un navire, vu le poids, un sous-marin par exemple). Fermi aux États-Unis comme Heisenberg en Allemagne eurent à peu près la même réaction quelque mois plus tard.

Remarquons que, pour l’équipe de Joliot comme pour les autres physiciens à cette époque, une « bombe » est en réalité un réacteur à neutrons rapides divergeant hors de contrôle.

Kowarski, Joliot et Halban

Kowarski, Joliot et Halban en 1947 © AIP

Il est facile d’estimer l’ordre de grandeur de la masse critique, mais il est beaucoup plus difficile d’en faire un calcul précis. Le paramètre essentiel pour estimer la masse critique est le libre parcours moyen d’un neutron, la distance moyenne qu’il parcourt avant de diffuser sur un noyau, d’être absorbé ou de provoquer une fission. Si l’on a n noyaux par unité de volume, et qu’un neutron a une probabilité (ou plus exactement une section efficace) σ d’interagir, son libre parcours moyen est simplement λ = 1/nσ. L’uranium 238 a une densité de 19.1 g/cm3, une mole (6.02x1023 atomes) a une masse de 238 g, et il y a donc n = 5x1022 noyaux d’uranium par cm3. Un noyau d’uranium a un rayon de l’ordre de 10-12 cm, sa section efficace est donc naïvement de l’ordre de (10-12 cm)2 = 10-24 cm2. Cette valeur a une telle importance en physique nucléaire qu’on lui a donné un nom, le barn (la « grange » parce qu’elle est si grande pour de nombreuses collisions que c’est l’analogue de viser la porte d’une grange avec un pistolet). Le barn n’a reçu ce nom qu’en décembre 1942 aux États-Unis, dans le cadre du projet ultra-secret Manhattan. Mais il fut cependant utilisé dès 1944 par les Soviétiques…

Avec une section efficace de 1 barn, le libre parcours moyen est ainsi de l’ordre de 20 cm. Une sphère d’uranium de rayon sensiblement inférieur au libre parcours moyen a toutes les chances de voir ses neutrons s’échapper avant de réagir, et il semble donc raisonnable de penser que le rayon critique doit être plus grand. Mais une sphère d’uranium de 20 cm de diamètre a déjà une masse de 600 kg (l’uranium est très dense, 19). Et la masse augmentant comme le cube du rayon, une sphère juste trois fois plus grande, par exemple, est 27 fois plus lourde avec une masse de 16 tonnes. Par ailleurs, l’uranium était rarement disponible sous forme métallique ces années là et l’oxyde d’uranium a une densité plus faible ~10 g/cm3, ce qui augmente automatiquement le libre parcours moyen, et donc à porter la masse critique correspondante dans la zone des tonnes de matière. Mais surtout les sections efficaces de diffusion, de capture et de fission de l’uranium étaient très mal connues en 1939. Une section efficace de 0.1 barn conduisait à multiplier par mille la masse critique, inversement une section efficace de 10 barns, à la diviser par mille… et à rendre une bombe accessible. Il ne faut pas oublier non plus que lorsqu’un neutron ralentit, il interagit de plus en plus et que son libre parcours moyen diminue très rapidement dès les premières collisions. La faisabilité — ou l’infaisabilité — d’un réacteur et plus encore d’une bombe dépendit ainsi crucialement des mesures expérimentales de section efficace d’une part, et des calculs de théoriciens reliant rayon critique et libre parcours moyen d’autre part. Pour le moment, le point important est que la taille critique se mesure en centimètres, et non en microns ou en kilomètres, ce qui est crucial pour toute application de la fission nucléaire.

Il semblait ainsi clair dès 1939 qu’il ne serait pas possible de construire un tout petit réacteur nucléaire, puisqu’il devait nécessairement rassembler plusieurs tonnes, voire plusieurs dizaines de tonnes, d’uranium, auxquelles il fallait ajouter le modérateur, les mécanismes de contrôle, le fluide permettant de récupérer l’énergie, etc. C’est d’ailleurs pour cela qu’on n’a jamais construit d’automobile à moteur nucléaire, ni de générateur nucléaire portatif utilisant la fission (il en existe bien sût utilisant les transmutations radioactives). ATTENTION ! On peut réaliser un réacteur de petit volume (d’autant plus petit que l’uranium est plus enrichi en 235)

Brevets!

Joliot pensa immédiatement à l’énergie nucléaire. La France est un pays pauvre en pétrole et même en charbon, et les barrages hydroélectriques étaient encore peu développés. Il envisagea d’emblée de passer à une échelle industrielle mettant en jeu le gouvernement. Il pensa aussi bien sûr que la réaction pouvait diverger exponentiellement et donc conduire à une explosion de très forte puissance, à une bombe nucléaire. L’équipe Halban, Kowarski, Joliot, complétée par le théoricien Francis Perrin, dépose pour le compte de la CNRS (Caisse nationale de la recherche scientifique, le CNRS ne fut créé que le 19 octobre 1939) trois brevets secrets les 1° mai, 2 mai et 4 mai 1939 :

Brevet Joliot

 

Le CNRS finançait alors les recherches de l’équipe au Collège de France, et il était prévu que 80% des recettes iraient au financement de la recherche scientifique (et 5% à chacun des quatre inventeurs). Ces brevets décrivent correctement les principes essentiels d’un réacteur et d’une bombe, à trois « détails » près :

  1. un mélange homogène d’uranium et de modérateur absorbe trop de neutrons pour permettre une réaction en chaîne. Ceci fut corrigé dans un autre brevet secret déposé le 1° mai 1940 ;
  2. un réacteur est en fait plus facile à piloter que le craignait l’équipe Joliot, à cause des neutrons retardés qui donnent à la réaction une inertie beaucoup plus grande ;
  3. il n’est pas possible de construire une bombe ni un réacteur avec de l’uranium 238, quelle qu’en soit la taille, car sa probabilité de fission est faible avec des neutrons rapides et nulle avec des neutrons lents. La présence d’uranium 235 est indispensable, à hauteur de 1 % pour un réacteur (les 0.7% contenus dans l’uranium naturel suffisent avec l’eau lourde comme modérateur), et de plus de 80% pour une bombe de taille utilisable.

Masse critique de l'uranium

Masse critique de l’uranium en fonction de son degré d’enrichissement en uranium 235

Détail du brevet de Joliot Détail du brevet Joliot

Détails des brevets déposés par l'équipe de Joliot

Accords industriels

L’équipe du Collège de France se tournant vers la réalisation d’un prototype de réacteur nucléaire avait donc besoin de plusieurs dizaines de tonnes d’uranium. Une série de discussions s’engagea alors du 8 au 13 mai 1939 entre la CNRS et l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK), conclue le 13 par la visite à Paris de Sengier, le directeur de l’UMHK, et la signature d’un partenariat pour l’exploitation mondiale des brevets français.

L’accord ne fut jamais ratifié formellement, d’abord en raison de difficultés juridiques pour associer un organisme d’état français à une société étrangère privée, puis à cause du déclenchement de la guerre. Cependant, cinq tonnes d’oxyde d’uranium arrivèrent à Paris dès le 23 mai et furent entreposées (pour des raisons de sécurité, tant sanitaire que militaire) au Laboratoire de synthèse atomique d’Ivry. Trois autres tonnes arrivèrent en avril 1940. Cinquante tonnes auraient dû arriver ensuite, mais la conquête allemande de la Belgique et de la France l’empêcha. Tout le stock de 8 tonnes fut caché au Maroc pendant la durée de la guerre, et il permit le redémarrage des recherches françaises juste après la guerre (à un moment où États-Unis et Grande-Bretagne s’étaient arrogés le monopole de l’uranium).

Dès le début de la guerre, Joliot obtint le plein soutien de Raoul Dautry (ministre de l’Armement du 20 septembre 1939 au 16 juin 1940) qui appuya sans réserve les recherches nucléaires. Le Laboratoire de Synthèse Atomique devint un laboratoire semi-militaire où des recherches secrètes étaient entreprises par des chercheurs et des techniciens mobilisés sur place. Dautry ne jugea pas nécessaire de consulter d’autres scientifiques, ni de créer une commission (comme l’estimeront indispensable les Allemands, les Soviétiques, les Britanniques ou les Américains). On peut voir là une préfiguration du CEA d’après-guerre, dont Dautry fut le premier administrateur général, Joliot le premier haut-commissaire, de 1945 à 1950 et Perrin le deuxième de 1950 à 1970.

Raoul Dautry raconta plus tard : « Peu après le début de la guerre, le gouvernement dut demander à M. Joliot-Curie de pousser ses études, moins vers l'utilisation des radioéléments pour la production d'énergie intéressant l'industrie du temps de paix (domaine où cependant, des perspectives extraordinaires pouvaient déjà être entrevues), que vers la mise au point d'un processus de libération brutale de l'énergie atomique avec des effets dépassant infiniment ceux des explosifs puissants. C'est à ce moment que j'eus à intervenir comme ministre de l'Armement pour mettre à la disposition de M. Joliot-Curie tous les moyens dont il pouvait avoir besoin. »

Premiers essais de réaction en chaîne

Réaction en chaîne

Principe de la réaction en chaîne. À la différence de nombreux schémas, celui-ci montre que les neutrons sont souvent perdus ou capturés par l’uranium 235 avant de pouvoir provoquer une fission de l’uranium 235 (extrait d’un rapport de janvier 1947 à l’occasion de la remise à Fermi de la médaille Franklin)

En juillet 1939, le personnel du Laboratoire de chimie nucléaire du Collège de France rejoignit celui du Laboratoire de synthèse atomique d’Ivry pour étudier systématiquement la production, la propagation et l’absorption des neutrons dans l’uranium. Il était évident qu’une réaction en chaîne ne se produisait pas dans l’uranium (naturel) pur, puisqu’on n’en observait pas dans les mines. Cela pouvait être dû soit à une absorption trop importante, soit à une efficacité de fission trop faible. Pour augmenter cette efficacité, il était logique de chercher à ralentir les neutrons puisque, comme l’avait découvert Fermi en 1934, la section efficace des neutrons lents (thermiques) était beaucoup plus grande que celle des neutrons rapides. Le meilleur des ralentisseurs (ou modérateurs) est l’eau, ou plus précisément l’hydrogène, parce la masse du noyau d’hydrogène, le proton, a presque la même masse que le neutron et qu’une collision entre eux transfère très efficacement l’énergie du plus rapide (le neutron) au plus lent (le proton). L’équipe de Joliot plaça donc l’oxyde d’uranium dans des sphères de cuivre de différents diamètres, en le mouillant avec de l’eau.

Mais les résultats furent très décevants, les réactions en chaîne s’éteignant immédiatement. Un article parut le 19 septembre 1939 dans le Journal de physique mentionnant ces réactions en chaîne convergentes. La raison fut rapidement attribuée à l’existence des pics de résonance dans la section efficace d’absorption des neutrons par l’uranium : à certaines énergies précises, entre 1 et 100 eV, la probabilité de capture des neutrons par l’uranium 238 augmente considérablement. L’uranium 238 ne fissionne pas, mais se transforme en uranium 239 (qui donne en deux étapes du plutonium 239, mais on ne le savait pas encore). Pour éviter de perdre ainsi la quasi-totalité des neutrons, il faut absolument les ralentir suffisamment en dehors de l’uranium pour les amener à une énergie inférieure à 1 eV, en dessous de la zone dangereuse. Concrètement, cela veut dire qu’il ne faut pas utiliser un mélange homogène d’uranium et d’eau comme le faisait l’équipe de Joliot, mais séparer l’uranium de l’eau (i.e. réaliser un arrangement hétérogène) de telle sorte qu’un neutron émis dans l’uranium en sorte, pénètre dans l’eau pour y être suffisamment ralenti avant de pénétrer à nouveau, sans risque exagéré d’absorption, dans la région suivante d’uranium. Avec des libres parcours moyens se comptant en centimètres ou en décimètres, cela voulait dire qu’il fallait découper (feuilleter) l’uranium et le modérateur en régions de cette taille.

brevet Joliot

Extrait du brevet Joliot de 1940 expliquant l’avantage d’un arrangement hétérogène

Aux États-Unis, Anderson, Fermi et Szilárd étaient arrivés exactement à la même conclusion, et ils publièrent dans la Physical Review du 1° août 1939 un article parlant de milieux hétérogènes pour ralentir les neutrons en dessous de la zone des résonances avant qu’ils pénètrent dans l’uranium. Joliot et son équipe envisageaient des sphères, des cubes, ou des barres de modérateur insérés dans l’uranium (on fait plutôt l’inverse aujourd’hui).

[Conférence Kowarski]

Mais ce n’était pas tout. Bohr et Wheeler publièrent le 31 août dans la Physical Review leur théorie de la fission nucléaire. Ils y montraient, entre autres, que l’uranium 238 ne pouvait subir de fission qu’avec des neutrons rapides, et que la majorité des fissions observées dans l’uranium venait de l’isotope rare 235 qui, lui, peut être fissionné par des neutrons lents. Il était donc indispensable d’économiser au maximum les neutrons pour parvenir à une réaction en chaîne, et Joliot réalisa que le chemin vers l’énergie nucléaire serait bien plus long qu’imaginé en mai, et qu’il exigerait d’immenses ressources financières et humaines.

La bataille de l'eau lourde

Le 30 octobre 1939, Halban, Joliot et Kowarski déposèrent à l’Académie des Sciences un pli scellé (la guerre avait éclaté) portant « Sur la possibilité de produire dans un milieu uranifère des réactions nucléaires en chaîne illimitée ». La note examinait les différents facteurs contribuant à la production et aux pertes de neutrons pour obtenir un critère expérimental d’approche de la criticité.

Ce fut la première version de la « formule des 4 facteurs »

k = ε p f η (pour un volume infini)

dont Fermi donna la version finale. Le premier terme ε est le coefficient de fission rapide (proche de 1, et généralement négligé jusqu’en 1942 en raison des incertitudes portant sur les 3 autres), le deuxième p est la probabilité pour un neutron d’échapper à la capture par résonance, le troisième f est la fraction absorbée par l’uranium plutôt que par l’environnement (le « coefficient d’utilisation thermique »), et le quatrième η est le nombre de neutrons produits par la fission provoquée par un neutron lent (coefficient de reproduction). Si k>1, la réaction en chaîne diverge au delà d’une taille critique, si k<1 la réaction converge toujours.

La note présentait également les trois solutions envisagées pour réduire les pertes de neutrons :

Augmenter la taille n’était pas très compliqué, en principe, mais ne suffirait pas. Enrichir l’uranium en U235 paraissait extrêmement difficile, puisque les deux isotopes ont les mêmes propriétés chimiques, et ne diffèrent que très peu physiquement. La seule façon de les séparer consistait à jouer sur leur très faible différence de masse, mais les procédés imaginables seraient tous très longs et très coûteux. Restait l’eau lourde.

Le problème de l’eau, ou plus précisément de l’hydrogène, est qu’elle n’est pas seulement un bon ralentisseur de neutrons mais aussi un bon absorbant (en capturant un neutron l’hydrogène se transforme en deutérium). Trop peu de neutrons survivent pour entretenir une réaction en chaîne, quelle que soit la géométrie choisie. La seule façon de corriger cela, c’est d’augmenter la proportion d’uranium 235 (enrichissement) pour compenser les pertes dues à l’eau. C’est ainsi que fonctionnent la plupart des réacteurs actuels qui utilisent de l’uranium enrichi à 3 ou 4% et de l’eau (« légère ») comme modérateur (et comme fluide caloporteur en même temps). Mais à l’époque, enrichir l’uranium était une perspective très lointaine.

Mais en remplaçant l’hydrogène de l’eau par du deutérium, on disposerait d’un ralentisseur presque aussi efficace, mais qui n’absorberait pas les neutrons (la probabilité de capture d’un neutron par le deutérium, donnant du tritium, est très faible, de l’ordre du millibarn). Halban avait justement étudié en 1937 avec Frisch, à Copenhague, l’absorption des neutrons par l’hydrogène et par le deutérium, et ils avaient remarqué la différence. Il était donc naturel que l’équipe se tourne vers le deutérium comme modérateur, mais sous une forme plus pratique (car beaucoup plus dense) et moins dangereuse que le gaz : l’eau lourde.

Section efficace du deutérium

Sections efficaces d’absorption des neutrons par l’hydrogène (en bleu) et par le deutérium (en vert), montrant que le deutérium est mille fois moins absorbant que l’hydrogène. © NNDC-BNL

Halban et Kowarski firent une étude sommaire de la diffusion des neutrons dans l’eau lourde qui indiqua qu’elle permettrait sans doute d’entretenir une réaction en chaîne avec de l’uranium naturel. L’utilisation comme ralentisseur de noyaux un peu plus lourds que le deutérium pouvait aussi être envisagée, mais le choix était très limité. L’hélium n’était guère utilisable car c’est un gaz qui ne se lie à aucun autre élément, d’où une très faible densité. Le lithium n’était pas non plus indiqué car il capture trop de neutrons, le béryllium était envisageable mais il est très coûteux et très toxique (il a cependant été utilisé après la guerre dans certains prototypes), le bore est lui aussi un remarquable absorbeur de neutrons et il est donc exclu.

Restait le carbone, modérateur moins efficace que l’eau lourde, mais a priori peu coûteux et facilement disponible sous forme de graphite. Mais les mesures de la diffusion de neutrons dans le graphite faites par Joliot et son équipe, essentiellement Halban, se révélèrent difficiles en raison d’un libre parcours moyen nettement plus grand que la taille de l’échantillon. Ils n’obtinrent qu’une limite supérieure sur la section efficace de capture par le carbone, mais elle parut rendre problématique son usage comme modérateur. De toute façon, le calcul indiquait que des dizaines de tonnes de graphite de grande pureté seraient nécessaires et l’emploi du graphite fut donc rejeté. En fait, le graphite contenait des traces de bore (de l’ordre de quelques dizaines de ppm), et un seul noyau de bore absorbe autant de neutrons que 220 000 noyaux de carbone. En Allemagne, Walther Bothe commit la même erreur que Joliot et le programme nucléaire allemand se focalisa lui aussi exclusivement sur l’eau lourde. Aux États-Unis, par contre, Szilárd savait que le graphite purifié industriellement était contaminé par le bore des électrodes utilisées, et il exigea du graphite spécialement préparé pour le réacteur qu’il construisit avec Fermi.

Noyau Hydrogène Deutérium Hélium Lithium Béryllium Bore Carbone Uranium
σcapture 0.33 0.0005 0.007 70 0.0092 770 0.0035 7.6

Section efficace (en barns) de capture des neutrons thermiques par différents éléments. Comme cette section varie avec l’énergie des neutrons (σ~1/√E), elle est ici intégrée sur une distribution thermique (pour une température de 300 K = 27°C, correspondant à une énergie moyenne de 0.05 eV). Les tables donnent aussi fréquemment la section efficace pour des neutrons de vitesse 2200 m/s, correspondant à une énergie de 0.0253 eV.

Le bore a deux isotopes stables, le bore 10 dont la section de capture de neutrons est de 3835 barns, et le bore 11, dont la section de capture n’est que de 0.0055 barns. La différence est que le bore 10 ayant 5 neutrons, l’un n’est donc pas apparié et capture plus facilement un neutron que le bore 11 dont les 6 neutrons sont appariés.

Sections efficaces

Sections efficaces d’absorption des neutrons par l’hydrogène (en bleu), le lithium (en vert), le béryllium (en rouge), le bore (en jaune) et le carbone (en violet) ©NNDC-BNL CONTRADICTION AVEC LA TABLE !

Halban, Joliot et Kowarski déposèrent deux nouveaux brevets, les 30 avril et 1° mai 1940 : « Perfectionnement aux dispositifs producteurs d'énergie » (décrivant une réaction en chaîne avec de l’uranium enrichi en uranium 235) et « Perfectionnements apportés aux dispositifs de production d'énergie » (décrivant le principe d’un arrangement hétérogène d’uranium et d’eau lourde). En mars, Alfred Nier avait effectivement confirmé la prédiction de Bohr que l’uranium 235 était le seul concerné par la fission par neutrons lents. Enrichir l’uranium en isotope 235 faciliterait donc une réaction en chaîne.

L’équipe de Joliot prenait conscience du travail de longue haleine en perspective :

L’eau lourde était alors un sous-produit de l’électrolyse de l’eau pour la fabrication de nitrates par le procédé Haber-Bosch (l’hydrogène obtenu par électrolyse réagit sur l’azote de l’air pour fabriquer de l’ammoniac). L’eau lourde est présente à hauteur de 1/10 000 dans l’eau naturelle mais n’est pas électrolysée de la même manière et elle peut ainsi être séparée. Le seul producteur était la compagnie norvégienne Norsk Hydro qui avait une petite unité à proximité de sa centrale hydroélectrique de Vemork près de Rjukan (entre Oslo et Bergen). Elle produisait de l’eau lourde depuis 1934, mais en très petite quantité (de l’ordre de quelques litres par mois) en raison de la rareté des usages de ce produit (essentiellement comme traceur pour la chimie et la biologie). Il en fallait quelques tonnes pour un réacteur opérationnel, et au moins quelques centaines de litres pour des études préparatoires.

Vemork

La centrale hydroélectrique de Vemork en Norvège

Français et Allemands engagèrent donc en mars 1940 une véritable course en Norvège (pays alors neutre) pour se procurer de l’eau lourde. La compagnie IG Farben était actionnaire de Norsk Hydro et elle entreprit des pourparlers pour racheter pour 120 000 $ (plus d’un million de dollars actuels, l’eau lourde se vendant 500$ le litre) le stock complet d’eau lourde (185 litres), et pour décupler la production à 120 litres par mois. Mais elle n’expliqua pas l’usage qu’elle comptait en faire. Un émissaire français, Jacques Allier, ingénieur et banquier agissant au nom de Paribas, actionnaire majoritaire de Norsk Hydro, préempta le stock complet de 167 litres (=185 kg, densité 1.1). Quand il expliqua que l’eau lourde permettrait de construire un réacteur nucléaire ou une bombe, les Norvégiens offrirent gracieusement (en prêt, il sera payé après la guerre par le Canada qui l’avait conservé) le stock à Jacques Allier, qui parvint, dans des circonstances rocambolesques, à le rapporter par avion en France en déjouant les services secrets allemands.

L’idée de Joliot était de mêler l’oxyde d’uranium à l’eau lourde dans une sphère métallique immergée dans l’eau, de placer au centre une source de neutrons et de mesurer le flux de neutrons à l’intérieur et à l’extérieur de la sphère.

Mais avant que l’expérience puisse être montée, l’Allemagne envahit la Norvège, puis la France. Avant l’entrée des Allemands dans Paris, Irène et Frédéric Joliot-Curie partirent avec le stock d’eau lourde au fond de leur voiture. Tandis que Joliot décidait de rester en France, Halban et Kowarski purent s’embarquer pour la Grande-Bretagne avec les précieux bidons. James Chadwick et John Cockcroft les incitèrent à s’installer au Cavendish, où ils communiquèrent toutes leurs connaissances. Disposant du stock mondial d’eau lourde, ils achevèrent en décembre 1940 l’expérience prévue avec Joliot. La mesure de l’augmentation du flux de neutrons les amena à conclure qu’avec une taille supérieure pour diminuer la perte de neutrons par la surface (et une meilleure géométrie, hétérogène) une réaction en chaîne entretenue serait réalisable. Mais les Britanniques étaient alors plus intéressés par la séparation isotopique (dans le cadre du Comité MAUD) que par la réalisation d’un réacteur. De toute façon, il n’existait plus de source accessible d’eau lourde.

Film La bataille de l'eau lourde

L’usine de Vemork devint un enjeu crucial au cours de la guerre (la "bataille de l’eau lourde"), les Alliés s’efforçant de la paralyser et les Allemands d’intensifier la production d’eau lourde. L’usine fut bombardée deux fois (27 février 1942, 16 novembre 1943), sabotée à deux reprises par des commandos en liaison avec la résistance norvégienne, et finalement le bateau qui transportait l’eau lourde fut coulé le 20 février 1944 au milieu du lac.

Recherches aux USA

Comme une traînée de poudre

 

Fermi, Szilard et les autres

 

L'uranium 235

 

La théorie de la fission de Bohr & Wheeler

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La théorie de la fission

 

Réactions

 

 


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